Peines
d’Amour
Perdues
Version shakespearienne.
L'une des
premières comédies de Shakespeare.
A l’aube de sa carrière, elle lui servit surtout
à ébaucher de futurs grands personnages tels
Mercutio ou encore Benedict. Certains supposent même
qu’elle pourrait être le pendant d’un
texte écrit par Shakespeare et baptisé
« Peines d’amour gagné » qui
ne nous est jamais parvenu et dont on se demande s’il
n’avait pas été rebaptisé
« Beaucoup de bruit pour rien » ou «
comme il vous plaira »…
Nous avons choisi Peines
d’amour perdues pour son texte frais
et incisif, son rythme dynamique et tout ce qui fait la
sincérité d’un jeune auteur qui
débute. Le sujet envolé convoque à la
fois burlesque, carnavalesque, ironie et lyrisme.
Nous allons, tant que
possible, tenter de présenter l’histoire et les
personnages in médias res (pour citer Holopherne).
« Article premier. Aucune femme ne doit s’approcher
à moins d’un mille de ma cour.
Article deuxième. Si un homme est vu en train de parler
à une femme durant un laps de temps de trois ans, il
essuiera le déshonneur public que le reste de la cour pourra
imaginer. »
Ainsi ont prêté
serment certains seigneurs
à l’instar de Ferdinand de Navarre qui, pour
privilégier « l’Etude »,
décide de forclore l’amour. Renoncement illusoire
on le devine, et les voilà parjures, pris dans les rets de
ce qu’ils avaient promis d’abjurer. En effet, la
proclamation du nouvel édit fut faite sans compter sur la
visite de la Princesse de France et de ses dames pourtant
prévue de longue date.
Elles arrivent, ils l’apprennent. Elles les aiment pour leur
renom, ils les méprisent sans les voir. Ils les rencontrent,
tombent amoureux, mais n’osent se l’avouer honteux
de leur parjure. Ils couvrent les demoiselles de «
kilomètres de mots » et de cadeaux, elles
rejettent ces présents qu’elles croient
amusements.
D’un coup de plume Shakespeare
attaque en quiproquos, pare en
malentendus et par dextérité carnavalesque
complique l’intrigue, emmêle ses personnages, en un
mot : touche !
Les personnages
initiaux.
Les
hommes :
Ferdinand
de Navarre : Roi
de la province éponyme, il est
l’instigateur du renoncement aux plaisirs allant
jusqu’à décréter
l’instauration de l’Etude durant trois ans.
Souverain pugnace et sévère, il est
l’un des premiers à tomber amoureux (Princesse de
France) reniant à la fois Etudes et batifolages, il
s’adonne désormais à la
sincérité de l’amour.
Byron:
Comme tous les personnages son trait dominant est
l’esprit. Dès la première
scène, il se fait remarquer par son esprit
indépendant, critiquant fort librement les
décisions royales, ce qui met dans l’exposition un
certain mouvement dramatique. A mesure que l’action
progresse, il devient évident que Shakespeare lui
réserve un traitement de faveur, lui donnant du relief et
une certaine complexité. Nous apprécions son
mordant, sa verve intarissable fusant en longues tirades lyriques ou
satiriques.
Longueville
:
Seigneur du roi de Navarre, il
s’associe à son serment puis comme le reste de ses
compagnons se parjure en tombant amoureux de la jeune Maria.
« On l’estime pourvu de talents souverains bien
doué pour les arts, glorieux par les armes, il ne fait rien
de mal quand il veut faire bien. Seule tâche à sa
vertu […] un esprit aigu au tranchant
acéré […] »
« Un seigneur joyeux et moqueur. »
Dumaine : Suit le même chemin
que ses camarades, troquant un
certain cynisme contre un badinage pompeux qu’il adresse
à la douce Catherine.
Elle le décrit d’ailleurs comme : « Un
jeune homme accompli []. Ceux qui aiment la vertu l’aiment
pour sa vertu : il pourrait faire mal, mais il n’est pas
méchant ; son esprit pallierait le manque de
beauté et sa beauté plairait même sans
son esprit. »
Longueville
et Dumaine seront traités en un seul et
même personnage.
Les femmes
La
Princesse de France :
contrairement au Roi, elle est beaucoup plus
proche de ses suivants voire à la limite de la
fraternité ; elle éprouve pour ses dames un
attachement tendre et particulier à chacune.
Pétillante et parfois même
légère, elle reste consciente de ses titres et
privilèges. Aussi blessée par l’accueil
que lui fait Navarre, elle prend le parti de le mépriser et
de le tourner en ridicule une fois qu’elle connaît
les sentiments qu’il a pour elle. Qui aime bien,
châtie bien.
Rosaline
: Esquisse
de la Béatrix de Beaucoup de bruit pour
rien elle est celle qui va de l’avant. Frondeuse elle semble
ne craindre rien ni personne, surtout pas Byron avec qui elle rivalise
en saillies piquantes et recul ironique. Elle est d’ailleurs
la seule à lui tenir tête, ce qui fait son charme,
tout comme la légèreté qui lui est
reprochée par son amie Catherine. Elle a
l’inconstance et la magnanimité plus soutenues que
la Princesse elle-même.
Catherine
: est le
double de Longueville, mais l’amante de
Dumaine. Sereine, calme, douce, elle est la plus posée des
quatre femmes mais n’est en rien introverti. Elle sait dire
la vérité sans être blessante, sa
sincérité démasque et
n’atteint l’autre que dans la mesure où
il n’accepte pas qu’elle lui tende un si parfait
miroir de ses travers.
Touchée par l’échec sentimental de sa
sœur, elle est celle qui laisse son soupirant dans
l’incertitude, ne promet rien, n’accepte que les
fruits que portera le temps; dans un certain sens elle est une force
tranquille.
Maria
: A pour
principale qualité sa «
normalité », c’est d’ailleurs
son seul défaut. Elle est heureuse de vivre,
pétulante, presque insouciante. Son esprit est bon enfant et
tient davantage de l’espièglerie que de la satyre
ou de l’ ironie. Elle sait toutefois manier la langue
à propos, mais tous les reports à la galanterie
et à l’amour semblent lui peser. Elle ne
demanderait, n’eut été la
décision de ses amies, qu’à
être courtisée.
Le
chevalier de ces dames, Boyet : Au service de la Princesse de
France, il possède une verve intarissable qui en fait le
double et rival de Byron. Toujours près à brosser
un portrait burlesque ou à lancer quelque vif assaut
d’esprit, il est cependant moins audacieux que lui. Il
n’est rien d’étonnant à les
voir passer de querelleurs à amis à la fin de
l’acte V.
Préoccupé par un souci constant de plaire
à la Princesse et à ses dames, il a pour
privilège d’entrer à son gré
dans leur intimité et d’être
à la fois leur serviteur et aiguilleur.
Les
autres habitants de Navarre :
Armado,
Moustique, Holopherne, Messire Nathanaël, La Trogne,
Lourdaud :
Avec Byron, les personnages qui ont le plus de relief se trouvent parmi
les caricatures bouffonnes. Tous pourraient être des
rôles plus que de véritables personnages :
« le page, le pédant, le curaillon, le fanfaron,
le nigaud » On a d’ailleurs
évoqué à leur sujet les personnages
traditionnels de la Commedia dell’Arte. Mais Shakespeare a
donné à ces pantins une verve, et une vie
extraordinaire. On apprécie la cocasserie de ces personnages
faussement secondaires, chez qui la suffisance s’allie
à un véritable don d’invention verbale
pour donner un langage d’une irrésistible
drôlerie. Même chez les personnages rustres, comme
Jacquinette et La Trogne, il y a parfois beaucoup de
vivacité dans les répliques et une certaine forme
d’esprit qui semble d’ailleurs peu compatible avec
la bêtise dont certains peuvent faire preuve.
Don
Adriano de
Armado : est
un seigneur espagnol fanfaron au cerveau quelque peu
fêlé. Il allie l’emphase espagnole au
lourd appareil de la rhétorique. Il atteint ainsi un sublime
amphigourique à rapprocher du «
précieux » et du « ridicule »
que pu dénoncer Molière. « Illustre
personnage, oui, vraiment, chevalier à la mode, aux mots
neufs tout flambants », volontiers imbus de
lui-même il tombe cependant sous le charme d’une
rose paysanne limitée et bien qu’il se croit
indépendant, il ne peut faire sans son « mignon
».
Moustique
: Page
d’Armado, il le sert sans lui être
entièrement dévoué puisqu’il
n’hésite pas à se moquer de lui
dès qu’il a le dos tourné. Il fait
preuve d’un esprit prompt à la plaisanterie et aux
jeux de mots (que son maître ne cesse de
s’approprier). Effronté face à Armado
qu’il connaît, il perd toute contenance dans les
situations qui le mettent en première ligne.
Il est le « bon petit diable » de la comtesse de
Ségur, mais tient du Sganarelle de Molière,
version candide et assagie.
Jacquinette
: Elle
joue la brave fille de
ferme tout aussi voluptueuse que sotte, à moins que sa
sournoiserie ne puisse lui tenir d’intelligence.
«
Peines d’amour perdues.
Pas d’amour
sans peines.
Pas
d’amour sans pertes. »
Preuve
de cette sentence (Acte V) dans l’adaptation !
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